
Sophie Charpentier
Quatre miniatures romaines
En écho à ce qui fut
La couleur des pierres
Crie
Plus fort que ce qu’elle était,
Dans la crudité de sa lumière
Que les mots seuls ne pouvaient
Ni transcrire ni
Rappeler,
Ni même garder sous la coupe du souvenir.
L’incandescence des murs avait troué
Le négatif inscrit
Au fond d’un temps
Enfoui, enfui,
Jusqu’à transpercer le film,
Le brûler pour
Nier
La violence du flot
Des couleurs.
Ressusciter les pigments des pierres,
Calcinées,
Consumées jusqu’à la racine,
Jusqu’à confondre leur chair en amas cendrés.
Ocres, orangés,
Noirs fendillés s’insinuant dans les fissures,
Placards de bruns grossièrement étalés,
Rouges salis,
Jaunes craquelés,
Se soulevant par plaques pour laisser,
Frustes et nus,
Les moellons
S’exhiber paisiblement,
Immuables.
L’image sépia
S’efface peu à peu,
Au profit de
La nuit,
Qui dévore
Les contours, s’abat
Sur les dômes,
Glisse sur les tuiles
Et emporte, loin
Dans les trouées de lumière ce que
L’œil
Avait cru pouvoir
Retrouver.
Sur tes traces

Ma chaîne
Cinglés
Variations sur le thème de la Folie
Chapeau.
Petit chapeau gris
Pendu à la patère,
Dans le couloir.
Gris lui aussi.
A côté
Du chapeau de paille
Bord gauche ensanglanté.
Dans un couloir d'école,
A côté du feutre rond,
Imbibé de vapeurs
D'alcool
Et de fumée.
Il n'y a pas
D'école.
Seulement un couloir,
Des cris,
Du silence
Et de l'attente.
Uniquement de l'attente.
Du désir
De fin
Dans un couloir
Qui n'en a pas.
S'arracher dix vers lapidaires,
Un carré de tournesols ivres,
Mettre au monde un onyx aux forceps.
Noir.
La nuit crie sous la lune
Qui a pris ses quartiers
Ce soir.
Votre nom?
Je ne sais pas.
Votre nom ?
Je vous dit que j'ai oublié.
Votre nom?
Camille, Vincent, Toto le Mômo,
Fernando, dit Alvaro, dit Bernardo,
Dit que sais-je encore,
Dit qui sais-je encore,
Peu importe
Puisque vous savez
Que je ne suis plus.
La petite Dame
Pensivement
A regardé son paquet
De cigarettes,
Son chapeau triste
Posé sur la table
Rouge,
A pianoté du bout des doigts
Sur la table cerclée de fer
Blanc,
Puis s'est dit
Mieux vaudrait m'en aller
Travailler mon piano
-Enfin pour cela il faudrait
Répingler son chapeau
Sur sa tête de cheveux cendre,
Pour cela il faudrait
Remettre un peu d'ordre
Dans la grisaille de ses pensées
Alors elle préfère suivre des yeux
Les minces volutes de fumée.
S’arrêter
Un moment ,
T’écrire dix vers
Insaisissable aimé,
Sur la chaise de paille
À la terrasse du café
-Pour peine,
Je ne sais pas écrire
De poèmes d’amour.
Alors reprenons le chemin des fous,
Là est sûrement la raison.
Il aurait fallu s’enfouir
Dans la conque de ses oreilles,
Oublier la rumeur du boulevard
Et la toile de fond de la radio,
Les touristes en goguette,
La ligne 20 du bus,
La colonne Morris
Dont les affiches sous la pluie
Auront pleuré demain peut-être,
La ville qui bruisse, qui crisse
Sous les talons des badauds
Et les pneus des taxis,
Les conversations ineptes
Aux tables des cafés,
Les importuns quotidiens,
Les amis de passage,
Le printemps qui éclôt
En bourgeons dans les arbres,
-Puis rejoindre le trou noir
Qui poursuit chaque instant
A tous les points du globe
A tous les points du temps.